Abdou, la passion des tapis

29 novembre 2011

Dar Neghrassi est une caverne d’Ali Baba dans le centre de la ville d’Azrou, avec des piles de tapis et autres antiquités textiles dans toutes les pièces, des livres sur les tapis traditionnels berbères et quelques chats qui se promènent paisiblement. C’est le royaume d’Abdou, plus antiquaire passionné que simple marchand de tapis, qui sait observer et reconnaître comme personne la tribu d’origine et la qualité d’un tapis ou d’une handira, une cape (en berbère « tahdounte »). Dans cette belle demeure ancienne, éclairée par une douce lumière descendant de la verrière, Abdou reçoit amis, clients et touristes qui viennent visiter la région du Moyen Atlas et qui cherchent une belle pièce à ramener chez eux.

Cet ancien étudiant en droit est finalement retourné sur sa terre d’origine, à Azrou pour travailler avec son père. Ils se sont d’abord lancés sur les souks et maintenant, Abdou tient la boutique pendant que son père part à la recherche de trésors textiles des différentes tribus berbères qui vivent dans les environs.  Plateforme de vente, de troc, de stockage, la maison Neghrassi est bien plus qu’une simple bazar, c’est presque un musée.

Pour encourager ces savoir-faire, Abdou collabore avec des femmes tisserandes de la région, comme la coopérative de la ville voisine d’Ain Leuh. Pour que ces femmes puissent en tirer un revenu convenable, il leur a fait développer de nouvelles créations. Des tapis plus épurés, reprenant des motifs typiques de la tribu Beni’Mguild, tribu berbère de la région d’Ifrane, qui demandent moins d’heures de travail mais qui conservent toutes les qualités originelles des tapis: d’authentiques fils de laine teints par des pigments naturels.

J’ai passé quelques heures en sa compagnie et il m’a ouvert à un monde de détails. Montré les subtilités d’une pièce ancienne par rapport à un tapis récent, la beauté d’une laine naturelle plutôt que de l’acrylique. J’ai vu comment la garance donne la couleur rouge, le henné des variations d’orange et de brun, l’indigo un bleu profond. Apprécié les différences entre les productions des Beni M’Guild et des Beni Ouarain.

C’était formidable de l’écouter expliquer qu’on ne retrouve pas le même « sentiment » dans un tapis réalisé pour la vente et un tapis fait pour être conservé. Abdou dit que le métier à tisser est le réceptacle de l’âme berbère, un outil pour transmettre les émotions de cette culture dans ses tissages, symboles des familles et de leur héritage.

Retour Maroc


AZROU, MAROC

Fatima, tisserande berbère

26 novembre 2011

Fatima a 47 ans et vit à Ain Leuh, une petite ville du Moyen Atlas marocain. Cette femme généreuse et volontaire a vécu toute sa vie dans la région, née à Toufassalet et mariée à Boudraa. Elle porte en elle la fierté et le sens de l’hospitalité propres à la culture berbère. Son mari, lui, travaille en France à Montpellier. Ils ont six enfants.

47 ans et une vie entière de tissage derrière elle. Tisser, pour elle, c’est comme manger ou respirer: une pratique vitale, débutée à l’âge de douze ans, apprise de sa propre mère. Elle maîtrise les motifs de sa tribu, les Beni M’Guild. Elle a transmis son savoir à ses filles et chez elle, coussins, tapis, couvertures, tout a été fait de ses mains expertes. Elle réalise des burnous pour son mari et même des khaïma, des tentes traditionnelles berbères. L’hiver est rude à Ain Leuh, alors ses tissages sont en laine épaisse qu’elle file et carde elle-même.

Comme me l’a appris Abdou, la « handira », la cape, est la carte d’identité d’une femme Amazigh. Elle comporte les signes de son origine, de sa famille et de sa tribu. En regardant Fatima enfiler dignement sa cape, la préparer méthodiquement et la poser sur ses épaules, j’ai pris conscience de sa valeur. Elle a tissé la sienne à l’âge de quatorze ans. Toutes les pièces textiles qui composent le trousseau de la jeune berbère au moment de se marier sont destinées à un usage quotidien,  mais comportent également une forte valeur de représentation sociale.

Selon la tradition, son métier à tisser est construit à la verticale et Fatima ne regarde jamais le résultat de ce qu’elle est en train de faire, les motifs se tissent à l’envers. Regarder ses belles mains teintes au henné se mouvoir pareilles à celles d’une harpiste, plaçant savamment les fils de trame entre les fils de chaîne pour former des motifs complexes, est un spectacle d’une beauté fascinante. Fatima me dit en Tamazight que tisser est sa façon à elle de méditer. Parfois elle se réveille la nuit, mue par une inspiration soudaine qui la force à se lever et à se mettre devant son métier, pour reproduire les motifs qui lui sont venus.

Retour Maroc


AIN LEUH, MAROC