Dar Neghrassi est une caverne d’Ali Baba dans le centre de la ville d’Azrou, avec des piles de tapis et autres antiquités textiles dans toutes les pièces, des livres sur les tapis traditionnels berbères et quelques chats qui se promènent paisiblement. C’est le royaume d’Abdou, plus antiquaire passionné que simple marchand de tapis, qui sait observer et reconnaître comme personne la tribu d’origine et la qualité d’un tapis ou d’une handira, une cape (en berbère « tahdounte »). Dans cette belle demeure ancienne, éclairée par une douce lumière descendant de la verrière, Abdou reçoit amis, clients et touristes qui viennent visiter la région du Moyen Atlas et qui cherchent une belle pièce à ramener chez eux.
Cet ancien étudiant en droit est finalement retourné sur sa terre d’origine, à Azrou pour travailler avec son père. Ils se sont d’abord lancés sur les souks et maintenant, Abdou tient la boutique pendant que son père part à la recherche de trésors textiles des différentes tribus berbères qui vivent dans les environs. Plateforme de vente, de troc, de stockage, la maison Neghrassi est bien plus qu’une simple bazar, c’est presque un musée.
Pour encourager ces savoir-faire, Abdou collabore avec des femmes tisserandes de la région, comme la coopérative de la ville voisine d’Ain Leuh. Pour que ces femmes puissent en tirer un revenu convenable, il leur a fait développer de nouvelles créations. Des tapis plus épurés, reprenant des motifs typiques de la tribu Beni’Mguild, tribu berbère de la région d’Ifrane, qui demandent moins d’heures de travail mais qui conservent toutes les qualités originelles des tapis: d’authentiques fils de laine teints par des pigments naturels.
J’ai passé quelques heures en sa compagnie et il m’a ouvert à un monde de détails. Montré les subtilités d’une pièce ancienne par rapport à un tapis récent, la beauté d’une laine naturelle plutôt que de l’acrylique. J’ai vu comment la garance donne la couleur rouge, le henné des variations d’orange et de brun, l’indigo un bleu profond. Apprécié les différences entre les productions des Beni M’Guild et des Beni Ouarain.
C’était formidable de l’écouter expliquer qu’on ne retrouve pas le même « sentiment » dans un tapis réalisé pour la vente et un tapis fait pour être conservé. Abdou dit que le métier à tisser est le réceptacle de l’âme berbère, un outil pour transmettre les émotions de cette culture dans ses tissages, symboles des familles et de leur héritage.